Billets qui ont 'Chevrier, Alain' comme auteur.

Dernier colloque des Invalides

Jean-Jacques Lefrère, l'organisateur parisien, est mort en 2015 (tandis que Michel Pierssens est au Canada et Jean-Paul Goujon à Séville… cela ne simplifie pas l'organisation); d'autre part le centre culturel canadien ferme pour deux ans et rouvrira ses portes dans le VIIIe: plus d'organisateur et plus de site parisiens, c'est a priori le dernier "colloque des Invalides", sorte de Blitz-discours sur un thème imposé. Les actes des années précédentes sont disponibles aux éditions du Lérot.

Je tente moi-même de faire un Blitz-billet en résumant ce que j'ai compris des interventions en une phrase (il m'en manque une ou deux, somnolence d'après déjeuner, quelle honte).

Olivier Bessard-Banquy: Les « fous de livres » de Charles Nodier à Léo Larguier : une intervention sur les bibliophiles et les bibliomanes, ceux qui cherchent des trésors et ceux qui amassent;

Julien Bogousslavsky: Apollinaire et ses intimes : autour d’une "Offrande" : une lettre très intéressante (impressionnante) au dos de laquelle se trouvent griffonés plusieurs portraits d'Apollinaire et ses deux amis les plus proches (je n'ai pas noté les noms);

Élisabeth Chamontin: Aurel, femmes de lettres: c'est le nom sur une plaque dans la rue où habite le petit-fils de l'intervenante, qui regrette de ne pas s'être renseignée davantage avant de proposer ce sujet, car la littérature de cette femme est insupportable (car E Chamontin, vaillamment, a lu deux opus de cette écrivain);

Marc Decimo: Croatioupipiskiousi ! intervention drôlatique qui a dû nécessiter de l'entrainement, à propos d'un auteur (Dupont de Nemours?) qui a traduit les chants et cris des animaux;

Philippe Di Folco: Thomas Chatterton : la construction du mythe et sa récupération par Vigny qui l'a enjolivé à sa façon;

Philippe Didion: Les auditeurs ont la parole : synthèse de la gestion du temps et des thèmes par les différents intervenants depuis quinze ans que P.Didion assiste au colloque;

Éric Dussert: Séductions d’HSF: lecture durant cinq minutes (le temps de l'intervention) d'Au mouton pourrissant dans les ruines d'Oppède d'Henri-Simon Faurt;

Aude Fauvel: Tous zoophiles! Morceaux choisis de folies animales: le mot ne désignait au départ que l'amour des animaux, pour glisser vers la description par les hommes de comportements qu'ils jugent excessifs chez les femmes au XIXe et XXe

Jean-Pierre Goldenstein: Le troisième homme. Marius Hanot et Blaise Cendrars: Hanot, celui que personne ne connaît, sauf d'un point de vue politique (et quelqu'un que personne ne connaisse, devant cet auditoire, c'est très très très rare, comme le soulignait Philippe Didion un peu plus tôt);

Michel Golfier: Jeanne Marni, une irrégulière si discrète : ce fut surtout l'exposé de ses ascendants, sans que je comprenne si c'était l'intention de l'intervenant ou si celui-ci s'est fait surprendre par le temps;

Olivier Justafré: Jules Ravier : de la Patache (physique) au père Lachaise: biographie d'un gardien d'octroi qui avait la folie de la description en vers (à retrouver sur Gallica?)

Henri Béhar: Marcel Proust parlait-il yiddish, comme tout le monde ?: pas très probant, mais cette question curieuse: bordel se traduit-il par "pièrdac" en yiddish?

Alain Zalmanski: Contribution à l’étude d’un système usuel d’unités de mesures, valorisant le jugement et l’approximation: du pouyem au froid de canard, un exposé rapide de tout ce qui à mon sens rend une langue impossible à apprendre quand on n'est pas né dedans (mon dieu que de raffinements); Jean-Paul Morel : La serendipity, ou comment trouver ce qu’on ne cherche pas: histoire du mot, de son apparition en France, de son étude;

Paul Schneebeli: L’aérostière de Pierrot le Fou: j'ai décroché un peu. Il me semble que cette femme a eu de multiples activités;

Alain Chevrier : une couronne de sonnets haïtienne: de la rareté des couronnes en général, et des couronnes doubles en particulier. Présentation de la métrique et de la thématique de la couronne d'Emile Roumer;

Martine Lavaud: Lièvres et tortues: éloge de la lenteur, regret de l'époque moderne qui va trop vite;

Benoît Noël: Claudine, Louÿs, Damia et le sirop de la rue: un peu confus, entre les petites-filles et les nièces de Louÿs, qui est qui, quand les parentèles ne sont pas sûres. J'ai retenu par ailleurs (un intervenant dans la salle) que Claude Farrère a écrit un roman à clé où Narcisse Cousin est Pierre Louÿs;

Jacques Ponzio: Ce que disait Leborgne: je ne spoile pas, mais mais mais… des photos très intéressantes et vaguement répugantes;

Julien Schuh: Jarry à la carte: (je ne me souviens pas)

Éric Walbecq: Quelques nouvelles ducasseries: chasse aux évocations de Lautréamont, qui se terminent par une carte postale (Vendée ou Normandie) et un modèle de tricot, le paletot Maldoror;

Marc Zammit: Le rideau de la Méduse: (une histoire de théâtre et de fantômes? je ne me souviens pas)

Daniel Zinszner: Le titre c’est le titre: une méthode mnémotechnique pour se souvenir des titres d'un auteur en composant un seul long titre avec les titres de ses œuvres.


J'ai oublié, déformé, et autres, j'en suis navrée (j'espère qu'aucun intervenant ne tombera sur ce billet en googueulisant), tout cela est entièrement subjectif.
Nous nous sommes bien amusés et nous avons beaucoup ri.
Rendez-vous dans un an ou moins pour les actes aux éditions du Lérot.

Une heure au colloque des Invalides le 16 novembre

Je dédie ce post à Pierre Cormary qui semble tombé dans l'absinthe depuis quelques jours.

Vendredi dernier (une semaine, déjà), je ne suis restée qu'une heure au colloque des Invalides, le temps de glaner quelques notes que je livre en vrac, avec quelques recherches google mais sans remise en forme.

Le thème de cette année était l'alcool.
La particularité de ce colloque est la durée des interventions: cinq minutes, égrenées par un minuteur. Lorsque retentit la sonnerie, l'intervenant devrait en théorie s'arrêter. En pratique, une tolérance lui permet de montrer en accéléré ses dernières images ou de lire ses cinq phrases de conclusion.
Je ne sais pourquoi, peut-être parce que j'avais entendu à son propos le mot de blitzkrieg, je m'attendais à quelque chose d'assez remuant et controversé, limite potache; mais en fait, pour le peu que j'en ai vu, il s'agit d'interventions très sérieuses et très documentées, et par la force des choses très ramassées (les intervenants ont la possibilité de développer dans les Actes tout ce qu'ils n'ont pas dit durant leur cinq minutes.) C'est le royaume de l'érudition fine, des domaines étranges et inétudiés (l'année dernière, à propos de "Films et plumes", une intervention a traité... des coiffes des indiens d'Amérique dans les films), des savants inconnus, des auteurs sans succès.

Quelques notes en vrac (c'est décousu et sans lien logique, au fil de la plume):

J'arrive alors que l'intervention de Marie-Claude Delahaye est commencée. Elle fait défiler des affiches vantant l'absinthe. C'est très beau. J'apprendrai plus tard qu'elle a ouvert à Auvers-sur-Oise le musée de l'absinthe «à partir de ses collection personnelles», dit-elle.


Henri Béhar nous livre quelques statistiques sur la fréquence du mot "absinthe" dans la base de texte Frantext. Il apparaît dès 1600 et est le plus utilisé après 1800, quand l'absinthe devient un spiritueux.
L'absinthe est interdite en 1915, les cadres de l'armée ayant décrété que l'on ne pouvait rien faire avec des soldats qui avaient trop bu.

Je tente de noter quelques-unes des fréquences qui apparaissent derrière le dos de Béhar, mais je suis un peu loin et ce n'est pas facile car elles sont représentées par des étoiles que je n'arrive pas à compter. Celui qui utilise le plus le mot est Raoul Ponchon.
Je remarque avec un peu de surprise le nom de Robbe-Grillet: ah, il ne faisait pas que dans le SM, il s'intéressait aussi à l'absinthe?
La sonnerie retentit. Henri Béhar énumère très vite les contextes dans lesquels apparaît le mot "absinthe": la plante, son amertume, le rituel de préparation de la boisson, l'ivresse, la maladie, les thèmes poétiques.


Denis Saint-Amand nous parle du zutisme en commençant par citer Max Weber qui avait analysé les critères permettant d'appartenir à certains cercles au XiXe siècle: éthique, maîtrise de soi et fidélité étaient plus importants que l'excellence dans tel ou tel domaine auquel le cercle se consacrait. Il s'agissait de conduite de vie.
Les zutistes, eux, étaient un cercle potache. Pour y appartenir, il faut savoir rire, de certaines têtes de turcs (François Coppée, Napoléon III), mais aussi de soi-même.
Denis Saint-Amand projette à l'écran Propos du Cercle, poème cacophonique de Léon Valade et J Kech, et le commente.

Propos du Cercle
(Mérat) Cinq sous ! C'est ruineux ! Me demander cinq sous ?
Tas d'insolents !... (Penoutet) Mon vieux ! je viens du café Riche ;
J'ai vu Catulle... (Keck) Moi, je voudrais être riche. —
(Verlaine) Cabaner, de l'eau d'aff !... (H. Cros) Messieurs, vous êtes saoûls !

(Valade) Morbleu, Pas tant de bruit ! La femme d'en dessous
Accouche... (Miret) Avez-vous vu l'article sur l'Autriche
Dans ma revue ?... (Mercier) Horreur ! Messieurs, Cabaner triche
Sur la cantine ! (Cabaner) Je ... ne .. pu..is répondre à tous !

(Gill) Je ne bois rien, je paye ! Allez chercher à boire,
Voilà dix sous ! (Ane Cros) Si ! Si ! Mérat, veuillez m'en croire,
Zutisme est le vrai nom du cercle ! (Ch. Cros) En vérité,

L'autorité, c'est moi ! C'est moi l'autorité...
(Jacquet) Personne au piano ! C'est fâcheux que l'on perde
Son temps, Mercier, jouez le Joyeux Viv....... (Rimbaud) Ah ! merde !


Jean-PierreJean-Paul Morel a mené l'enquête sur les Chansons toxiques, chansons créées entre 1907 et 1946.
Il fait défiler les illustrations accompagnons les chansons à l'écrans et me laisse pantoise en précisant en pensant qu'il possède chacune de ces illustrations («les illustrations s'appauvrissent quand apparaît la photo»).
Il nous montre un tableau qui trônait derrière le bureau de Cocteau mais «si vous allez aujourd'hui à Milly-la-Forêt, vous le verrez par terre près d'une cheminée», ce qui n'est pas du tout ce qu'aurait souhaité Cocteau.
Jules Jouy: un monologue sur la manière de préparer l'absinthe.
Une fois que l'absinthe fut interdite, elle fut remplacée par d'autres substances: cocaïne, morphine, éther.
Sonnerie.
Morel termine très vite en évoquand Saint-Saëns qui aurait commis un texte en 1907 parlant de l'absinthe «source d'inspiration».


Ces quatre interventions sont suivies d'un temps de questions. J'ai appris les choses suivantes:
Jean Lorrain a donné une recette de fraises à l'éther, ce qui n'est peut-être pas si étonnant si l'on considère que les grand-mères se servaient de l'absinthe dans la préparation des cornichons;
en 1988, Michel Rocard a de nouveau autorisé les spiritueux à partir de la plante absinthe, en 2011 le décret de 1915 a été totalement abrogé;
Marie-Claude Delahaye a acheté une licence IV pour son musée de l'absinthe;
la molécule dangereuse de l'absinthe est la tuyone, elle est présente à 60% dans la plante. Aujourd'hui, on autorise les spiritueux dosés à 35 mg/l (aux Etats-Unis 10 mg/l), avant 1915 c'était de l'ordre de 500 mg/l! (un homme de Pontarlier a fait analyser des bouteilles lui restant de son grand-père: elles titrent à 400 mg/l un siècle plus tard). On amis beaucoup de choses sur le compte de l'absinthe, mais l'alcool aussi est hallucinogène;
Robbe-Grillet, Annie Ernaux, Jacques Lanzmann repérés dans Frantext comme utilisant le mot absinthe: il n'y a pas que le spiritueux, mais aussi la plante (sa couleur, son amertume);
Caradec la cite dans La Compagnie des zincs, pour préciser que l'écriture d'une chanson se commence après la deuxième absinthe, puis qu'il faut compter un pernod par couplet;
la couleur de l'absinthe: pratique, car en fait on ne sait pas vraiment ce qu'elle est.


Cela sert de transition à l'intervention d'Alain Chevrier qui nous parle des monochromies en peinture et littérature. Il allait un peu trop vite pour que je puisse noter (deux stratégies s'affrontent: en dire peu, montrer des photos, se dire qu'on développera dans les Actes, ou se dépêcher, essayer d'en dire le maximum en cinq minutes). Alain ralentira ensuite, ayant trouvé son rytme. J'ai noté Charles Cros, L'heure verte (et la lecture du poème me fait penser à un tableau de Monet dans les verts), filtres photographiques, blanc, Gautier, jaune, rouge, Mallarmé, Cros, «le comble étant atteint par le rectangle vert d'Alphonse Allais: "Des souteneurs, encore dans la force de l’âge et le ventre dans l’herbe, boivent de l’absinthe."»
Sonnerie. Et Alain Chevrier de terminer par un royal «Ah tant mieux, je ne savais pas comment conclure».


Que s'est-il passé ensuite? Il me semble qu'Elisabeth aurait dû prendre la suite, mais il y a eu un problème d'ordinateur (je crois, mes souvenirs sont flous).



Alain Chevrier lisant, Elisabeth Chamontin concentrée

Paul Schneebeli a intitulé son intervention "La mélancolie du dypsomane".
Le dypsomane n'est pas un alcoolique. Il est aliéné avant de boire, l'alccolique est aliéné après avoir bu.
Le dypsomane boit par intervalle avec excès.
Paul Schneebeli nous présente un poème de Georges Fourest, l'auteur de la Négresse blonde.

Vin! Hydromel! Kummel! Whisky! Zythogala!
j'ai bu de tout! parfois saoul comme une bourrique!
l'Archiduc de Weimar jadis me régala
d'un vieux Johannisberg à très-cher la barrique!

Dans le crâne scalpé du sachem Ko-Gor-Roo Boo-Loo,
j'ai puisé l'eau des torrents d'Amérique!
Pour faire un grog vire l'Acide Sulfurique !
Tout petit je suçai le lait d'un kanguroo !

(Mon père est employé dans les pompes funèbres;
c'est un homme puissant! J' attelle quatre zèbres
à mon petit dog-car et je m'en vais au trot!)

Or aujourd'hui, noyé de Picons et d'absinthes,
je meurs plus écœuré que feu Jean des Esseintes
Mon Dieu ! n'avoir jamais goûté de vespetro !

Schneebeli s'est lancé dans la recherche des allusions et des sources contenues dans ce poème (zythogala: mélange de bière et de lait donné contre le choléra (cholé-ra noir, de cholé, bile; et noire, méla, même racine que mélancolie)); Johannisberg: il me semble que cela se rapporte à Nerval à Johannesbourg, mais il faudra attendre les Actes.)
Un travail fouillé et intrigant, comme chaque fois que quelqu'un s'attache à chercher — et trouver — les clés d'un texte, surtout d'un poème qui paraît aussi décousu et fantaisiste que celui-ci (comment lui soupçonner des origines solides?).


Puis vint le tour d'Elisabeth Chamontin qui a intitulé son intervention L'alcool de la comtesse, sachant que nous penserions tous à l'album.
Ce titre mystérieux cache une analyse de l'alcool dans les romans de la Comtesse de Ségur, et je soupçonne Elisabeth de n'avoir choisi ce thème que pour se donner une excuse pour relire tout «Rostopchin-tchin-tchin» (sic).
Elisabeth a préparé évidemment des anagrammes que je n'ai pas eu le temps de noter (toujours ce temps de surprise, d'immobilité, devant une anagramme), sauf «Et sage sur le Médoc» (la comtesse de Ségur).

Il y a beaucoup d'alcool chez la comtesse, de l'eau-de-vie, du vin, du cidre, des liqueurs, tant et si bien qu'il faut se demander si cela procède d'un projet pédagogique.
L'eau-de-vie, la vraie, est bonne. D'ailleurs Nanon (ou Nanou?) en frictionne les bébé.
le cidre est bon aussi, et les enfants de trois et six ans en boivent dans L'Auberge de l'ange gardien ou dans Jean qui rit et Jean qui grogne (les références seront à vérifier dans les Actes, j'ai noté très vite). Mais on peut le couper, alors il devient affreux.
Le vin est excellent (Le Général Doukarine, Mme Fichini (Un bon petit diable) en boivent. Aux enfants on donne de l'eau rougie.
Le champagne est bon.
Quand le vin est fin, les domestique le volent.

Ce qui est mauvais: l'excès, le mélange, le frelatage.
On pardonne à Dilois le cheminot et à Gaspard d'avoir bu (je ne sais plus pourquoi). Mais l'excès est mauvais et l'acool tue, dans Les bons enfants, le père tue des poules avec de l'avoine imbibée d'alcool à titre de démonstration pour ses enfants.
Les mélanges ne tuent pas; ils rendent malades. Le vin rouge et le vin blanc dans Les bons enfants, Alcide se saoûle à l'esprit-de-vin, c'est-à-dire de l'alcool industriel, et d'ailleurs il sera exécuté (Pauvre Blaise?)
Et Elisabeth Chamontin de terminer royalement par: «Y a-t-il un projet pédagogique chez la comtesse de Ségur? je pense que oui, car mon premier livre sans image à quatre ans était un comtesse de Ségur, et depuis, je bois!»

Elle présente quelques anagrammes sur l'intitulé du colloque, mais je n'ai rien noté.


Vient le temps des questions et débats. Quasi-dispute autour de la définition de l'esprit-de-vin (métanol? esprit de bois? alcool de betterave?)

Je note très vite cette remarque intéressante: pendant des siècles, l'absinthe a servi aux peintres à lutter contre le saturnisme dû au plomb contenu dans la peinture (céruse): absinthe et élébore étaient les seules remèdes permettant aux peintres de retrouver un peu de leur allant.
L'absinthe fut un apéritif en Suisse (en 1700? 1800?) et il ne faut pas oublier que c'est grâce à l'absinthe que les Français on conquis l'Algérie: c'était un médicament contre la dysenterie.

Alain Chevrier refuse de donner son avis sur le "projet pédagogique" de la comtesse de Ségur. Je mets cela sur le compte de sa timidité et de sa réserve, mais à la fin du temps des questions, nous nous apercevrons qu'il avait tout bonnement la tête ailleurs, en train de rédiger une chanson en trois couplets et un refrain sur le colloque des Invalides, où on ne «boit que de l'eau-ho-ho», ou «du Canada-dry, aïe aïe». (J'espère que nous la verrons arriver sur le net un de ces jours).

Scoop: l'idée de Lolita a été piquée à Botul !

Les jeudis de l'Oulipo sont pour moi l'occasion de croiser des passionnés de Lolita. Alain Chevrier avait ainsi trouvé une origine française à la petite fille, Dominique m'a confié jeudi dernier une découverte encore plus étonnante: c'est Botul qui aurait inspiré Nabokov:
Jusqu'où ira cette floraison de Lulu, je n'en sais rien mais je pressens qu'elle n'est pas terminée1. Le bouillon de culture fermente. Un jour, nous verrons peut-être sortir de la cornue d'un écrivain une variété de Lulu gamine, que nous pourrions appeler Lulita.

Jean-Baptiste Botul (1896-1947), Nietzsche et le démon de midi, p.88

On ne dit pas "un jeu de mots pourri" mais "une homophonie approximative".

Les alexandrins décalés de GEF me laissent pétrifiés (mais comment fait-il?)

Un site de BD oulipienne. C'est très étonnant. Voir par exemple bulles palindromiques.


Note
1 : Au moment où il parle, Botul ne connaissait pas l'opéra d'Alban Berg intitulé Lulu, composé en 1937 et inspiré du film de Pabst.

French Lolita, une enquête d'Alain Chevrier

Je remercie très sincèrement Alain Chevrier de m'autoriser à reproduire ici un article qu'il m'envoya il y a quelques temps.






La première "Lolita" : Berlin ou Paris ?
La revue trisannuelle dirigée par Bernard-Henri Lévy, La Règle du Jeu, dans son n° 25 (mai 2004), publie une traduction par Laurent Dispot du récit de Heinz von Lichberg. Ce texte est annoncé par un chapeau très accrocheur du traducteur : "Coup de tonnerre le 19 mars 2004 : le journal quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung annonce à la Une la découverte par son collaborateur Michael Maar, alerté par un Monsieur Rainer Schelling, d'une autre Lolita que celle de Nabokov! Et qui l'a précédée de… quarante ans!" Suit un éloge du journal allemand et de son sérieux, par le philosophe-journaliste, qui s'exclame à la fin: "Quelle émotion que de voir apparaître soudain, imprimé pour la première fois au monde, au milieu de ce conte inconnu de 1916, le fabuleux "signifiant" qu'est devenu aujourd'hui Lolita — seize millions d'entrées sur Internet! Voici, en traduction française, le texte intégral de cette incroyable et fascinante découverte."

Le texte reproduit, "Lolita", porte effectivement ce titre, et le fameux signifiant apparaît dans la phrase: "Jusqu'à ce que, le deuxième jour, j'aperçoive Lolita".
Il s'agit d'une servante d'une auberge à Alicante, une blonde aux yeux sombres.
La première phrase de sa présentation peut attirer le lecteur: "Elle était très, très jeune, selon nos critères nordiques". Et l'on relève deux qualificatifs d'"enfants": "et j'éprouvai la mission impérieuse de prendre cette enfant dans mes bras, de la protéger contre un danger qu'elle voyait venir" et "elle encercla mon cou de ses bras d'enfants" (Nous suivons la traduction de Laurent Dispot, et n'avons pu consulter le texte allemand.)
Mais on s'aperçoit que la différence d'âge est minime : le narrateur, décrit comme "le professeur à l'air très juvénile", rapporte un voyage en Espagne (où les Lolita sont légion) 20 ans auparavant : il est "étudiant" et doit donc être lui-même jeune. Cette relation amoureuse est une relation d'adulte à adulte. Une fille en naît.
Le récit, où Hoffmann est évoqué dans le prologue, est un conte fantastique allemand typique, qui se passe à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, avec un passage visionnaire, expressionniste, une allusion à une malédiction portée sur la famille de Lolita, où Lola, "la grand-mère de l'arrière-grand-mère de Lolita" a été étranglée "il y a cent ans" (?) par ses amants. Lolita meurt étranglée par ses deux amants, en laissant une fleur rougie de son sang — délicat symbole freudien — en guise de "mot d'adieu".
Après le texte, Laurent Dispot donne une étude, "Lolita, Une Première", où les rapprochements sont des plus hasardeux (moins la Graziella de Lamartine que la Lola Lola de l'Ange bleu de Heinrich Mann — dont le nom nous paraît dériver de Lola Montès), et il parle de "cette histoire de nymphette fatale séductrice d'un universitaire, et qui fait déjà se battre jusqu'à la mort deux hommes entre eux,…".
Il ne fait pas état des réticences et des arguments contraires qui ont été avancés au lendemain de la republication de ce conte, notamment par les spécialistes de Nabokov: la servante est jeune selon les standards "nordiques", mais elle est en âge de travailler. Le point important n'est pas la différence d'âge. Cette Lolita accouche d'une fille, mais n'en meurt pas.
Surtout, Nabokov, n'avait pas besoin de ce précédent: Lolita est un nom courant, en Espagne et en Amérique Latine. Nous ferons remarquer qu'on a plus de chance de tomber sur une petite fille ou sur une jeune fille quand l'héroïne s'appelle Lolita plutôt que quand elle s'appelle Lola…
Ce récit de 8 pages était la neuvième histoire d'un recueil de quinze contes portant le titre de Die verfluchte Gioconda. Grotesken. ("La maudite Joconde")1. Heinz von Lichberg était un auteur inconnu, mais depuis la découverte de son récit, on a appris que son vrai nom était Heinz von Eschwege. Né en 1890, il travaillait comme journaliste à Berlin dans les années où l'écrivain russe Nabokov-Sirine y vivait comme réfugié. Il écrivit aussi un roman, était nazi, devint lieutenant-colonel durant la guerre, et mourut en 1951.
Au cours de ce débat il a été signalé qu'il existait un texte français concernant une Lolita, et qu'il était activement recherché. (Nous avons perdu cette référence, qui doit se trouver dans un supplément littéraire d'un quotidien français ou dans un magazine littéraire français ou anglais).

Or nous avons retrouvé ce livre. C'est un roman intitulé "Lolita", dont l'auteur se nomme Henry Houssaye, et qui a été publié chez Jean Vigneau en 19452.
L'exemplaire broché que nous avons entre les mains est le n° 5 des douze exemplaires tirés sur papier de Rives. Il comporte 222 pages. Les feuillets en cahiers inégaux ne sont pas rognés. L'achevé d'imprimer, par Chantenay imprimeur à Paris, est du 10 août 1945. Le dépôt légal est du 3e trimestre 1945.
Le titre "Lolita" se détache en noir sur une couverture blanche. Cette couverture s'orne d'un cadre formé par des bandes de six filets rouges, et de l'emblème de l'éditeur : une tête de bélier surmontant une grappe de raisin.
Jean Vigneau, qui avait été administrateur chez Grasset, était éditeur à Marseille depuis 1941, et s'était installé 70 bis, rue d'Amsterdam. Il a notamment publié Les Nouvelles Chevaleries de Montherlant en 1942. Le roman de Roger Peyrefitte, Les Amitiés particulières paru en 1944, obtint le Prix Renaudot en 1945.
Le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France montre qu'elle possède un exemplaire de ce roman, ainsi que d'un roman antérieur, Laurence (1944), paru chez le même éditeur, et de Printemps, une comédie en 3 actes (Paris, Studio 45, 14 février 1945). Nous n'avons pas pu trouver pour l'instant de renseignements biographiques sur Henry Houssaye, qui fait peut-être partie d'une dynastie littéraire inaugurée par Arsène Houssaye.
Ce roman n'est pas disponible actuellement sur internet, et le nom de son auteur n'y éveille aucun écho. À ce propos, les "seize millions d'entrées" exaltés par le journaliste correspondent essentiellement à des messages pornographiques en réponse aux mot-clés "LOLITA" ou "LOLITAS", et ne sont donc ni une preuve de l'excellence du roman de Nabokov, ni de l'amour pour la littérature qu'éprouveraient des millions de personnes (du sexe masculin)!
Le "Lolita" du romancier français est un roman psychologique et de mœurs qui décrit avec complaisance la vie désenchantée d'une certaine bohème de luxe à Paris avant guerre, sur un ton cynique à la Montherlant. Il ne relève pas de la littérature érotique ou grivoise.
Ce roman est curieusement composé de deux parties. La première se conclut dramatiquement par le suicide du personnage principal. La seconde se termine non moins dramatiquement par l'emprisonnement pour meurtre d'Armand Clérys, qui prend le relais du rôle principal. C'est un artiste peintre. Comme il est le fils d'un riche avocat, il peut mener une vie de loisirs, de mondanités et de débauches.
Le personnage éponyme n'apparaît, encore plus curieusement, qu'au chapitre II de la seconde partie, à la page 157, soit aux deux tiers du livre!
Voici la scène de la rencontre, qui a lieu un dimanche 11 avril :
Ce dimanche soir, vers six heures, il aperçut, comme il traversait le parc Monceau — le Parc-aux-Belles, ainsi qu'il le surnommait — une jeune fille jeune et foncée, une enfant des îles, tant son teint paraissait brûlé, tant ses yeux recélaient de ténèbres. — Approche, fit-il de loin à un petit garçon tout blond qui jouait dans le sable. L'enfant s'avança : "Va dire à la fille noire, oui, celle-là, là-bas, va lui dire que je l'aime bien." Plus tard il se rappellera cette étrange séduction, cet enfant mâle jeté à l'enfant femelle.
Le petit garçon assez effrontément à la jeune fille :

— Mademoiselle, il y a un monsieur là-bas…
— Pardon ?
— Il dit qu'il vous… aime bien.
Elle était debout contre les fils de fer. L'étang reflétait sa silhouette de divinité coloniale, immobile entre deux ruines de colonnades antiques. Un chat sur le banc proche tendit vers elle sa patte. Elle lui tendit un doigt. Et bientôt, on ne sut plus, de ces deux créatures, laquelle caressait l'autre. trois canards glissèrent par là-dessus.
— Comment te nomme-t-on ? fit Armand tout près.
— Lolita.
— Je n'ai encore jamais connu de Lolita. Viens. (p.157-158)
Telle est la première occurrence de ce "signifiant" en langue française. Et voici la description physique de cette "Lolita" :
Elle se laissa emmener. En chemin, il ne lui parla guère. Il interrogeait peu ses conquêtes. "Je ne demande aux femmes que l'indifférence." Elle l'accompagna sans trop d'étonnement. Il admira, se laissant légèrement distancer — s'empourprait aux joues rondes comme des ballons, aux pommettes qui saillaient. Les cheveux touffus, véritable forêt de boucles, tressaillaient imperceptiblement à chaque pas, comme si la jeune inconnue portait en équilibre sur la tête des grappes de raisin noir. Tout en elle respirait calme, innocence et fierté. "Comme c'est facile!" songea-t-il en montant l'escalier derrière ses formes magnifiques. (p.158-159)
Cette Lolita est donc une fille de couleur. Elle sera décrite plus loin comme une "statuette de bronze" (p.174). Elle est née à Singapour et vient du Caire où son beau-père était Consul de France. Sa mère est américaine, comme son père, un américain de la Havane, correspondant de presse à Singapour, devenu toxicomane et fou, et qui a disparu (p.200).
Elle a seize ans, comme l'écrit le séducteur dans le "dossier" où il consigne la liste de ses conquêtes en prévoyant de la laisser tomber comme les précédentes (p.59).
Il a trente ans (p.198), ce qui pose problème: "Reste la différence d'âge. Presque quinze ans" (p.167), "Mon âge me gênait toujours, et mon troublant passé" (p.203).
Il l'appelle "enfant" (p.171), et lui demande: "Dors-tu comme les petits enfants, un poing fermé sur l'oreiller? Nous vivrons comme frère et sœur." (p.172).
Armand épouse Lolita. On apprend en passant que c'est grâce à une "intervention auprès de la Présidence" effectuée par son oncle (p 174).
Ils partent vivre dans une maison au bord de l'Atlantique, "un refuge au bord de l'eau" (p 171), "une villa au bord de l'eau" (p. 201), dont il dirige l'ameublement intérieur, et où ils vivent seuls avec la nourrice de la jeune fille.
Leur union est une relation très "pure", ce qui est le comble de la perversion de la part de ce séducteur :
Mais de tout ce qui s'accomplit ce dimanche 11 avril, rien n'éclaire ma mémoire que la figure de Lolita. Plus que ses traits encore, son mutisme m'enchaîna. Elle ne parlait pas. Son être ravi chantait le voyage et l'enfance. Elle avait rapporté de ses sables lointains l'émerveillement facile et la gravité sauvage. Ses yeux, ses immenses yeux, semblaient porter toutes les mers du monde, et ses cheveux, un vivier de serpenteaux noirs. Et c'était une enfant. L'homme que le vice ou la science a précocement angoissé, s'apaise au spectacle de l'enfance, car l'enfant est gracieux, et la grâce, telle une danse, endort la pensée. L'enfant s'élance, le chat s'élance… Cette œuvre de Dieu, sur vingt toiles, je l'ai tentée, j'ai poursuivi, à travers les années, cette chimère de fixer l'enfant. (p.200)
Dans un "mémoire autobiographique" adressé du fond de sa prison à son ami médecin (le troisième personnage masculin du livre), où il veut justifier qu'il n'est pas atteint de "démence", Armand explique qu'il est né frère jumeau d'une sœur prénommée Charlotte, et que sa mère appela Lolita. Celle-ci est morte d'un accident cérébral moins d'un an après leur naissance (p.102) Il a été aussi frappé par une jeune danseuse de dix ans, contemporaine de l'éveil de sa puberté au même âge.
A la cinquième semaine de leur union blanche, Lolita "parle" et montre qu'"elle sait". Armand fait montre d'une jalousie possessive. La voyant nue devant son miroir, il l'étreint, la déflore, et, pour l'empêcher de remuer, lui plante la lame d'un stylet dans le corps. C'est "une dague de Tolède" (p.219) et le coup est porté "derrière la nuque" (p. 185), comme à la corrida, ce qui nous semble en relation avec la connotation espagnole du prénom.
Il termine ainsi son mémoire autobiographique :
Ce que j'ai tenté ici-bas réussira peut-être là-haut. Si je me suis livré aux passions les plus basses, Elle a conservé la Grâce, le sortilège enfantin, Elle, la seule et authentique Lolita qui me fut réservée. Issus tous deux du même point de l'espace, puissions-nous retourner au néant et rouler ensemble dans l'Infini avec les astres morts. (p.220-221)
Il est transféré dans une clinique, où il succombe à une "congestion cérébrale". C'est donc une histoire de meurtre passionnel, de folie amoureuse.
On voit que ces passages sont plus proches par les thèmes, le décor moderne, et le ton du narrateur, de la Lolita de Nabokov que des maigres indications désincarnées du conte "grotesque" allemand.
Ils sont également plus proches dans le temps : moins de dix ans séparent sa publication du premier en 1945 de la date de composition du second, terminé en 1954. (Le roman de Nabokov sera publié en 1955 chez Olympia Press et sa traduction chez Gallimard en 1959).
Nabokov, réfugié en France, avait fui les nazis en 1940 pour se réfugier aux États-Unis, où il s'intégrera très vite, comme citoyen et comme écrivain. Il y a peu de chances pour qu'il ait lu ce roman français — mais on ne peut exclure formellement cette lecture. Nabokov connaissait très bien le français : il a même écrit dans cette langue et participé à la revue Mesures, tandis qu'il affectait de ne pas bien connaître l'allemand lors de son long séjour à Berlin.
On pourrait ressortir à propos de cette Lolita les mêmes arguments en faveur d'un plagiat ou d'une cryptomnésie, et reprendre la plus grande partie des motifs communs (nom de l'ouvrage – nom de l'héroïne – âge de l'héroïne – caractère "démonique" – liaison avec un adulte — maison au bord de la mer — tragédie finale), et en ajouter d'autres (le cadre moderne – la psychologie fouillée des personnages, et la description de leurs préoccupations sexuelles – le ton distant du narrateur).
Mais comparaison n'est pas raison. Ces éléments ont été choisis secondairement dans le récit de Nabokov, et appliqués à ces textes antérieurs, ils ne peuvent que confirmer le rapprochement. Or ces éléments sont très généraux : un prénom - une femme – très jeune – un amant plus âgé - une fin tragique. Ce sont des analogies par convergence et non des homologies en faveur d'un rapport de filiation. Il en va de même pour le rapprochement historique : Nabokov est présent en Allemagne lors de la parution du conte.
Il y a un tel abîme entre ces deux textes et celui du romancier russo-américain, dont chaque page contient plus d'imagination, d'intelligence, d'humour et de sensibilité que n'en recèle la totalité du conte allemand et du roman français. À vrai dire, tout le tohu-bohu journalistique — anglais, allemand, mais aussi espagnol, à cause de la servante, et maintenant français — n'a que peu à voir avec l'histoire littéraire et la rigueur de ses méthodes en matière de quête de la preuve. Le recours psychologisant à la cryptomnésie est aussi désobligeant envers le créateur que l'"accusation" de plagiat : "New Lolita Scandal! Did Nabokov Suffer From Cryptomnesia?" est le titre d'un des articles reproduits sur le net. De plus, c'est le genre de concept dont on ne peut démontrer la fausseté.
Nabokov n'a pas besoin de ces prédécesseurs. Il est bien connu qu'il a abordé le thème de la nymphette dans le récit écrit en russe, L'Enchanteur, écrit à Paris à la fin de 1939 ou au début de 19403 selon lui, en fait en 1939.4. L'écriture du roman Lolita a commencé vers 1949, d'après Nabokov, et l'on a souvent pensé, à juste titre à notre avis, que le déclencheur a été la lecture de la confession sexuelle d'un anonyme russe, écrite en français et publiée en annexe dans les œuvres complètes de Havelock Ellis, qu'Edmund Wilson lui avait communiquée en juin 19485.
Le roman français n'a donc pu servir de source au thème de la nymphette, problème qui pouvait se poser à propos de la Ur-Lolita. Mais le prénom de l'héroïne et le titre du roman français ont-ils pu servir de déclencheur, surtout si le récit allemand est resté ignoré de Nabokov ? On peut soutenir que si Nabokov avait su qu'il existait déjà un livre sous ce titre, il ne l'aurait pas réemployé. Mais il pouvait aussi penser que la France était loin à l'époque et que personne ne s'en rendrait compte…
Pour notre part, nous suspendrons notre jugement sur ce point, nous contentant d'apporter ce supplément d'information au dossier afin de le rouvrir.
Nous ignorons enfin si lors de la parution mouvementée de Lolita à l'enseigne de la lutte contre la censure, — et de son succès de best-seller mondial, fondé sur son érotisme supposé, — l'auteur français ou ses ayant droits se sont manifestés. Il faut dire que l'époque était moins empoisonnée que la nôtre par les questions de plagiats et des compensations financières subséquentes.
Ajoutons que l'existence du roman français pose un problème plus général de bibliographie et de titrologie : celui des titres jumeaux ou sosies. Dans ce cas il s'agit même de triplés ! Peut-être trouvera-t-on encore d'autres "Lolita", mais les deux exemples identifiés à ce jour appartiennent aux deux langues de culture que Nabokov a traversées.
En tous cas, — et ce n'est point par chauvinisme, mais au contraire pour montrer l'unité de la littérature universelle, — on peut affirmer que c'est en France qu'a paru le premier livre ayant pour titre "Lolita".

Septembre 2004

PS : Depuis, le livre de Michael Maar est paru en français sous le titre D'une Lolita l'autre et en anglais sous le titre The two Lolitas.

Référence circulaire : d'autres indications ici.


Note
1: Michael Maar, "Heinz von Lichberg and the pre-history of a nymphet", Times Literary Supplement, 2 avril 2004.
2: Henry Houssaye, Lolita, Paris, Jean Vigneau, 1945, p.222.
3: Vladimir Nabokov, "À propos de Lolita", in Lolita, Gallimard, Folio, 1980, p. 494.
4: Vladimir Nabokov, L'Enchanteur, Rivages, 1986, p. 9.
5: Vladimir Nabokov / Edmund Wilson, Correspondance 1940-1971, Rivages, 1988, p. 142-143.

Notes / Sténo, d'Alain Chevrier

Des définitions en deux mots anagrammes, justes, cocasses, cruelles, à l'occasion discrètement grivoises, comme le veut la tradition française :

Fenêtre ensoleillée : rideaux radieux
Dossiers : vacheries archivées
Césarienne : utérus suturé
Top-model : cintre crétin
Mourir sur la scène : adieux idéaux

De temps à autre un palindrome surgit, car «le palindrome est une sous-section de l'anagramme.»

Dédicace à "mes" pédéblogeurs :

Sodomie : galerie élargie



Le livre propose un peu plus de mille deux cents de ces formes minimalistes.
Il est édité à deux cents exemplaires et n'est donc pas diffusé en librairie (il en faut au moins six cents). Vous le trouverez ici.

Citations glanées hors cadre durant ces quelques jours

(Ce ne sont que des citations à peu près, pour le plaisir).

— «De l'ordre même dans les orgies!», comme disait Madame de Saint-Ange dans La Philosophie dans le boudoir. (Bernardo Schiavetta1 tentant de rétablir le calme avant une communication).

— «Elle est bonne!» (C'est du Queneau) (précision d'Alain Chevrier reposant son verre d'eau au cours de sa communication sur Ivar Ch'Vavar et Ian Monk).

— Dans L'école des sirènes, la maîtresse dit aux jeunes filles: «Pour se tenir droite, il suffit de savoir trois choses: je suis belle, j'ai un secret, je suis aimée». (encore Bernardo, au début de sa communication le dernier jour, tandis qu'il avait demandé à une belle jeune femme blonde de se tenir dos à dos avec lui en mimant des gestes précieux de la main).



Note
1 : auteur de cette folie que j'ai dû repérer en 2004 et qui a joué son rôle dans ma décision d'assister à ce colloque malgré les problèmes d'organisation que cela posait.
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